Article de Politique nationale - Publié le Mercredi 6 Janvier 2016

Fidan Dogan, son entretien à Avant-Garde

  • Le 9 janvier 2013 à 10h, à l'appel de nombreuses organisations, dont le PCF, manifestation entre la Gare du Nord et la place de la Bastille pour exiger que la vérité soit faite sur ce triple assassinat et la justice rendue.

Le 9 janvier 2013, Leyla Seylemez, Fidan Dogan et Sakine Sanciz étaient assassinées dans le 10eme, au 147 rue La Fayette où se trouvait le Centre d'information kurde.

Depuis, nous avons multiplié les actions pour demander que justice et vérité soient obtenues sur ce triple assassinat. Sur proposition des élus PCF du 10ème, le conseil d'arrondissement du 2 novembre dernier a ainsi voté la pose d'une plaque devant le 147 rue Lafayette en mémoire des 3 femmes kurdes.
Mais les autorités françaises et turques continuent de refuser de faire la lumière sur les commanditaires de ce crime odieux. Aussi, nous vous appelons à participer nombreux à la nouvelle manifestation du samedi 9 janvier 2016 qui partira à 10h de la Gare du Nord pour rejoindre la place de la République.
Nous reproduisons ici l'entretien qu'avait donné Fidan Dogan à Avant garde, le journal du Mouvement jeunes communistes de France, en 2012 quelques mois avant son assassinat. 
"Avant Garde. Recep Erdogan, premier ministre de la Turquie depuis 2003, avait affirmé vouloir trouver une solution politique à la question kurde. Loin de là, la situation est aujourd’hui très tendue dans la région et la répression ne fait qu’augmenter. On en est où de la politique d’Ankara sur le Kurdistan ?

 Fidan Dogan. En 2003 quand Erdogan arrive au pouvoir, il annonce qu’il veut résoudre la question kurde. C’était le premier chef de gouvernement turc qui disait reconnaitre les erreurs et faire face à l’histoire. Il avait nommé son projet « l’ouverture kurde ». Mais dans les faits, Erdogan s’est trouvé confronté à la difficulté de trouver un interlocuteur politique kurde. Cet interlocuteur, c’est le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan). Très vite Erdogan a renommé son projet « l’ouverture démocratique » pour ne plus parler de la question kurde.

Alors, en 2009, lorsqu’aux élections municipales le BDP (Le Parti de la Paix et de la Démocratie) passe de 56 à 100 mairies, Erdogan décide d’opérations massives d’arrestations. Des centaines de membres du BDP ont été arrêtés dont les maires des plus grandes villes. Arrêter des élus, c’est arrêter la population qui a voté pour eux. 6 députés sont emprisonnés en Turquie dont Leyla Zana, prix Zakharov du parlement européen. C’est une déclaration de guerre contre tous nos symboles. C’est envoyer le message que tous ceux qui défendent les droits des kurdes seraient des terroristes.

Erdogan essaye de vendre une image exemplaire de la Turquie dans ses visites. Mais on ne peut aucunement parler de droits des peuples en Turquie. Ce que nous vivons c’est la dictature d’Erdogan. Ces arrestations se poursuivent jusqu’à aujourd’hui pour arriver à un chiffre de 7000 prisonniers politiques et nous pourrions être à beaucoup plus. Le gouvernement AKP (le parti politique d’Erdogan, majoritaire à l’assemblée turc) est convaincu que cette voie permet d’éradiquer la question kurde. Mais nous avons vécu les guerres et les coups d’état en Turquie et nous avons toujours lutté. Lorsque l’on va au Kurdistan, chaque famille a un membre qui a été tué dans cette guerre ou qui fait partie des 17 000 disparus.

Pour le gouvernement turc, la question kurde est inscrite au registre de la lutte contre le terrorisme avec le soutien de l’Union Européenne et des Etats-Unis. Ça veut dire que la Turquie serait un pays où il y a 20 millions de terroristes!  Ainsi au mois de décembre, 34 villageois ont été tués dans des raids aériens. Dans n’importe quel autre pays dit démocratique, le chef de l’état aurait dû démissionner après un tel massacre. Mais Erdogan n’a même pas pris la peine de s’excuser et personne n’a protesté.

Comment s’explique ce déploiement de force et la puissance de cette répression alors même que les organisations kurdes demandent une résolution politique du conflit ?

Fidan Dogan. Le PKK a appelé une dizaine de fois à des cessez-le-feu. Mais la réponse turque a toujours été militaire. Le PKK veut une résolution pacifique du conflit et ne demande pas l’indépendance. Il propose une autonomie démocratique dans la région. Le respect des droits culturels et politiques et l’éducation en langue maternelle. Ce sont des droits fondamentaux reconnus à tous les peuples, sauf aux kurdes. Mais il faut savoir que le Kurdistan est une région très riche en pétrole, en eau et en gaz. Économiquement c’est une région incontournable et les grandes puissances occidentales sont alliées de la Turquie pour cette raison-là. Les kurdes et leur combat pour défendre leurs droits sont victimes des intérêts économiques de ces pays.

En France nous vivons la même politique qu’en Turquie. La France s’est opposée à l’entrée de la Turquie dans l’UE, mais pour conserver ses relations avec la Turquie, ils ont passé les accords pour l’arrestation des militants kurdes. C’est une sorte de donnant-donnant. Je refuse ton adhésion mais je t’aide avec tes « terroristes ». Depuis 2007 il y a une multiplication des arrestations, des perquisitions et des procès en France et lors de la visite de Claude Guéant (alors ministre de l’intérieur) l’an dernier en Turquie un accord a été signé pour l’extradition des Kurdes.

En Turquie les jeunes kurdes ne croient plus en la démocratie. Leurs maires essayent de servir leur ville et militent pour eux, puis se font arrêter sous leurs yeux. Ils voient donc qu’il n’y a aucune voie légale pour eux. Alors il ne faut pas se demander pourquoi il y a une guérilla. C’est la réponse répressive du gouvernement qui dirige les jeunes Kurdes à rejoindre la guérilla, les montagnes. Alors qu’ils risquent, leur vie, la prison et la répression. Les kurdes continuent leurs manifestations et leurs rassemblements.  Un peuple de vingt millions d’habitants ne peut pas vivre caché. On peut arrêter autant de kurdes qu’on veut, d’autres les remplaceront.

Alors quels leviers pour le changement ?

Fidan Dogan. Il faut d’abord que les pays européens mettent de côté leurs intérêts économiques. On parle de 40 millions de personnes, d’un peuple qui a une histoire et d’une des premières civilisations de la Mésopotamie. Ce soutien à Ankara doit cesser, car il est en défaveur de la résolution du problème kurde. Les kurdes sont victimes de cette alliance avec le gouvernement turc. Le problème kurde est un problème de tous les pays membres du Conseil de l’Europe. La Turquie en est membre avec 47 autre pays. On ne peut pas nous dire que c’est un problème de la Turquie et que c’est la Turquie qui doit résoudre ce problème. Le problème n’est pas limité aux frontières turques.

Mais Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères annonce poursuivre les relations avec la Turquie. Un pays qu’il juge très important. Donc il devrait y avoir une continuité avec le précèdent gouvernement. C’est notre peur. Les relations avec la Turquie ne peuvent pas continuer sur les seuls intérêts économiques. La priorité, c’est l’arrêt du soutien au gouvernement turc par la vente d’armes et les accords Guéant de sécurité. Les arrestations en France doivent cesser.

Sarkozy s’était toujours opposé à l’adhésion de la Turquie à l’UE parce que c’est un pays musulman. Mais nous sommes pour, à condition d’imposer le respect des droits de l’homme et la reconnaissance des droits, politiques et sociaux des kurdes. Être contre l’adhésion de la Turquie à l’UE c’est mettre la question kurde de côté. L’adhésion à l’UE doit faire progresser la démocratie et les droits de l’homme en Turquie. Ce que nous voulons c’est une autonomie démocratique. Une décentralisation où les décisions seront prises sur le terrain, dans les régions. Nous ne voulons pas de frontières. Ce ne sont pas aujourd’hui les frontières qui vont sauver les peuples. Nous ne sommes pas pour une indépendance, nous voulons notre droit à l’autodétermination."