Article de Politique nationale - Publié le Dimanche 4 Février 2024

Loi immigration : le gouvernement jette le conseil constitutionnel en pâture aux loups

  • Conseil constitutionnel dsc00742.jpeg

    Le Conseil Constitutionnel créé en 1958 et comprenant 9 membres est chargé de contrôler la conformité de la loi à la constitution. Tout dernièrement, il a été contraint de trancher sur un ensemble darticles contenus dans la loi Immigration que le gouvernement avait été amené à intégrer alors quil savait quils étaient inconstitutionnels, ceci afin de satisfaire les demandes de la droite. Une   manoeuvre politicienne et un manque de courage du gouvernement qui porte atteinte au rôle du Conseil Constitutionnel et le place sous le feu de la droite et de lextrême-droite.

     

Parmi toutes les étrangetés qui ont accompagné l’examen au Parlement du projet de loi immigration, il y en a une qui n’a peut-être pas retenu l’attention mais qui est fondamentalement dangereuse pour le futur de l’État de Droit en France : la prise en otage du Conseil Constitutionnel par le gouvernement.

Le gouvernement affaibli s’est caché derrière les juges de la rue de Montpensier

N’ayant pas les voix pour faire adopter par l’Assemblée nationale son projet de loi, le gouvernement a fait le choix de négocier avec la droite pour obtenir le soutien des députés LR. Le parti d’Eric Ciotti, dont la stratégie politique se résume aujourd’hui à courir derrière le Rassemblement National, ne s’est pas privé d’amendements plus odieux les uns que les autres, remettant fondamentalement en cause les valeurs humanistes issues de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Mis face à ses contradictions, le gouvernement aurait pu reculer, mais il a choisi de se coucher devant la droite décomplexée et triomphante. Nous avons alors assisté à un spectacle extraordinaire encore jamais vu dans notre histoire parlementaire : le ministre de l’Intérieur monte à la tribune pour inciter les parlementaires de la majorité à voter des mesures clairement anticonstitutionnelles afin de faire adopter la loi, en leur promettant que le Conseil Constitutionnel serait saisi et censurerait les articles en cause. Ce que ce dernier a fini par faire ce 25 janvier.

Le président de la république, garant des institutions et de l’État de droit en France selon la tradition républicaine, s’est donc empressé de jouer le Conseil Constitutionnel contre le Parlement par crainte d’une défaite politique.

Le rôle du Conseil Constitutionnel, et à travers lui de tous les juges, est remis en cause

Si ce choix est si contestable, ce n’est pas seulement par la lâcheté politique qu’il révèle mais surtout parce qu’il met le Conseil Constitutionnel dans une position plus que délicate. En lui déléguant la tâche d’élaguer le texte des dispositions anticonstitutionnelles, le gouvernement désigne le Conseil Constitutionnel comme responsable de l’échec des dispositions qui plaisent à la droite extrême et à l’extrême droite. Le gouvernement demande aux juges constitutionnels de faire le travail politique qu’il n’a pas eu le courage de faire, et d’en supporter la responsabilité.

Ce choix place donc le Conseil Constitutionnel, et avec lui tous les juges, sous le feu d’une critique qui n’est pas nouvelle : on reproche aux juges de faire la loi à la place du législateur. Il faut bien reconnaître que ce n’est pas tout à fait faux. La théorie politique de la séparation des pouvoirs donne au législateur le pouvoir d’écrire la loi, à l’exécutif le pouvoir de la faire appliquer et au pouvoir judiciaire de l’interpréter pour l’appliquer aux cas particuliers qui lui sont soumis devant les tribunaux.

Parce que le législateur, aussi inventif soit-il, ne peut prévoir toutes les situations concrètes qui vont se poser dans le futur, c’est au juge qu’appartient la responsabilité de faire rentrer les situations particulières dans la règle générale. Et ce faisant oui, il est parfois et par définition amené à créer du Droit. Ce n’est pas un problème, il s’agit d’une nécessité pour faire fonctionner une société qui, comme la nôtre, repose sur le principe d’un État de Droit.

Cette question se pose tout particulièrement au Conseil Constitutionnel, parce qu’il est le juge de la conformité des lois à la Constitution, et donc placé au contact direct du Parlement contrairement aux juges administratifs ou judiciaires qui jugent de la conformité à la loi des actes juridiques inférieurs. Mais son travail est absolument nécessaire pour une démocratie constitutionnelle.

Cela ne revient pas à dire que le Conseil Constitutionnel est exempt de critiques. Dans sa composition d’abord, puisque ses neufs juges sont nommés pour un tiers chacun par le Président de la République, par la Présidente de l’Assemblée Nationale et par le Président du Sénat. Ses membres ne sont pas souvent des juristes mais des personnalités politiques proches du pouvoir. Cette composition entraîne toujours un soupçon de partialité, manière polie de dire que le Conseil Constitutionnel s’est jusqu’à ce jour toujours débrouillé pour ne pas trop froisser le gouvernement. Sur la réforme des retraites par exemple, plusieurs constitutionnalistes ont publiquement exprimé qu’une censure totale était nécessaire au vu de l’insincérité des débats parlementaires pourtant protégée par la Constitution (mensonge sur la pension minimale à 1 200€, combinaison de plusieurs techniques constitutionnelles qui n’étaient pas prévues pour être cumulées pour raccourcir les débats au maximum). Le Conseil Constitutionnel a choisi d’ignorer ces problèmes. De même sur la recevabilité du referendum d’initiative partagé, qu’il a rejeté à deux reprises pour des motifs incompréhensibles.

Le Conseil Constitutionnel sous le feu de l’extrême droite

Sous ces conditions, pourquoi devons nous défendre le Conseil Constitutionnel face aux attaques de LR et du RN ? Malgré ses défauts, le Conseil Constitutionnel protège encore aujourd’hui les droits humains fondamentaux, notamment ceux mentionnés dans la Déclaration de l’Homme et du Citoyen ou dans  le préambule de la Constitution de 1946, deux textes qui sont mentionnés dans la Constitution de la Vème République et qui ont donc valeur constitutionnelle. Si l’extrême droite devait arriver au pouvoir dans un futur proche, les juges constitutionnels fonctionneraient comme un garde-fou qui empêcherait au moins en partie le RN de mettre en place des lois instaurant une pure discrimination.

L’extrême droite, et maintenant même Les Républicains, ne s’y sont pas trompés et ont déjà commencé à attaquer le Conseil Constitutionnel après sa censure partielle de la loi immigration, et à demander une réforme constitutionnelle pour limiter son poids.

Ainsi Jordan Bardella n’a pas hésité à parler de « coup de force des juges » pendant que Marine Le Pen a demandé une réforme constitutionnelle sur l’immigration. Côté LR, Eric Ciotti estime que le Conseil Constitutionnel « a jugé en politique plutôt qu’en Droit » et demande lui aussi une réforme constitutionnelle. Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat estime que « ce n’est plus le Parlement qui fait la loi » et Laurent Wauquiez demande lui aussi une réforme constitutionnelle pour que le Parlement ait le dernier mot sur le Conseil Constitutionnel.

Le gouvernement est pleinement responsable de cette nouvelle attaque sur l’État de Droit qui s’annonce, alors que des phénomènes similaires se déroule en Europe et dans le monde. En choisissant la lâcheté politique devant le Parlement, ce sont les principes fondateurs de la République qui sont mis en danger. Compte tenu de cette situation, les communistes se prononcent pour une 6ème République permettant à notre peuple et à la nation de conquérir leur pleine souveraineté. Bref, une République sociale, démocratique, écologique, féministe, résolument laique et internationaliste.