Article de Politique nationale - Publié le Lundi 19 Janvier 2015

Après le choc, la réflexion pour avancer tous ensemble

  • Dès le soir de l'assassinat dans les locaux de Charlie Hebdo, des milliers de manifestants, silencieux, se sont rassemblés spontanément place de la République pour défendre la liberté d'expression.

Quelques jours après les terribles évènements qui ont horrifié nos concitoyens, la France est sous le choc. La liberté d'expression d'une presse engagée, outil indispensable de notre démocratie, a été visée. Cette action ne peut être qualifiée que d’une seule manière : il s’agit d’un acte fasciste.

La mort de nombreux journalistes dont celle de nos amis Charb, Wolinski, Cabu et Tignous est une terrible nouvelle qui nous glace d’effroi et nous rempli de colère. Nous n’oublions pas les policiers, exécutés pour avoir tenté de les protéger, l’agent de maintenance, le correcteur, un invité, ainsi que la policière de Montrouge, tuée juste parce qu’elle portait l’uniforme, ni les quatre otages de la porte de Vincennes. Nos pensées vont aux blessés, aux familles et aux proches des victimes.

Plusieurs des dessinateurs assassinés travaillaient régulièrement avec des publications du Parti Communiste, de la CGT ou avec le journal l’Humanité. Ils offraient également de nombreux dessins à des réseaux militants comme RESF. Aussi, nombre de militants communistes parisiens ont perdu un ami, un camarade ou un compagnon de route.

Une réaction salutaire de la population mais attention aux suites

La population française a réagi massivement contre ces atrocités. Et nombre de manifestants ont bien perçu la situation. En brandissant des crayons, symbole du droit à la caricature, de nombreux manifestants pointent clairement du doigt le choix politique qui a guidé les assassins vers leurs victimes.

Cette réaction salutaire et clairvoyante ne doit surtout pas se laisser dévoyer par celles et ceux qui veulent faire croire à une guerre déclarée dans et hors de France. Quelques dizaines ou même centaines d’extrémistes présents sur le territoire, loin de tous être prêts à de tels actes ne forment pas une armée. Sans minimiser le danger que peuvent représenter certains individus ou certains groupes, il convient avant tout de s’interroger sur ce qui les amène à cette radicalité, nous y reviendrons.

La liberté d’expression n’est pas discutable

Si les réactions de solidarité, de refus de ce geste ont réchauffé le cœur de nombre d’entre nous, certains reprochent aux dessinateurs morts  leurs dessins.

 C’est un point essentiel : les dessinateurs étaient-ils anti musulmans ? Ou sans l’être, ont-ils « abusé » de leur droit d’expression en caricaturant le prophète de l’Islam ? Pour nous communistes, la réponse est sans ambigüité, c’est non aux deux questions.  A aucun moment Charb et les autres n’ont cherché à susciter la haine envers les musulmans. Ils n’ont fait au contraire que caricaturer toutes celles et tous ceux qui poussent à la guerre, au rejet de l’autre. C’est aux religions et à leurs fanatiques, non aux personnes ou aux croyances qu’ils réservaient leurs traits de crayon. Toutes les religions y passent, sans égard pour aucune. Il suffit de relire par exemple les séries sur la religion bouddhiste, les « unes » sur la religion catholique ou sur les extrémistes juifs pour s’en convaincre.

La seule limite à la liberté d’expression que nous fixons et que fixe aussi la loi est l’interdiction de l’appel à la haine, au racisme, la diffamation, la désinformation intentionnelle. Autant nous protégerons la liberté d’expression, autant nous combattrons ceux qui commettent ces délits, sans relâche. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté disait Saint Just. Nous faisons nôtre cette devise.

 Il n’y a aucune raison de tolérer que certains, à droite en particulier, puissent demander « le respect des religions », de ne pas dire ou dessiner « ce qui pourrait heurter les croyants ». D’aucuns leur répondent « droit de blasphème ». Pour nous communistes, respectueux de toutes les religions, il n’est même pas question de cela ; le blasphème n’existe tout simplement pas ! Si quelqu’un est heurté dans sa foi par un écrit ou une illustration, parce qu’elle ne respecterait pas certains de ses principes religieux, il doit juste se rappeler qu’elle est écrite par quelqu’un qui ne s’est pas fixé les mêmes principes et il ne peut donc ni se sentir attaqué, ni condamner cette expression, sauf à vouloir imposer les mêmes dogmes à tout le monde, ce qui est contraire à la laïcité…

Enfin, il serait quand même incroyable que ceux qui n’avaient en tête que la liberté et la paix soient dénoncés comme islamophobes et que leurs meurtres soient ainsi excusés alors que les hommes politiques qui jouent sur les peurs, dénoncent l’étranger, promulguent des lois anti-immigrés soient exonérés de toute responsabilité. Deux citations que nous condamnons fermement suffisent à rappeler cela : «Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation [avec les populations locales]» ; « Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes ». Ces phrases ont été, faut-il le rappeler, prononcées par deux ministres de l’Intérieur, l’un de droite, l’autre soit disant de gauche.

La liberté d’expression ça se joue aussi dans les décisions politiques !

La liberté d’expression est défendue et c’est très bien ainsi. Mais on ne peut se contenter d’en rester là, sans se demander si cette liberté n’est mise en danger que par « des terroristes » ou si elle ne l’est pas par d’autres mécanismes, plus discrets mais aussi plus constants.

 Charlie Hebdo, et d’autres titres comme l’Humanité, porteurs d’une ligne éditoriale originale, largement émancipée des principaux groupes capitalistiques est au bord du gouffre financier depuis des années. De l’autre coté, de grands groupes médiatiques, aux reins solides, adossés à des entreprises diverses pouvant aller jusqu’à la vente d’armes, proposent une information bien souvent standardisée, diffusant la pensée unique autant de fois et aussi souvent que nécessaire afin que chaque idée (allongement de la durée du travail, nécessité de faire la guerre, …) pénètre bien dans la tête du plus grand nombre possible.

Affirmer que la liberté d’expression, la liberté de la presse sont constitutifs de notre démocratie pousse forcément à s’interroger sur cet état de fait. Pour continuer à exister les journaux indépendants ont besoin d’être soutenus financièrement. La démocratie n’a pas de prix, mais elle a un coût. Et si des aides existent bien pour les journaux, la plus grosse partie va aux titres qui en ont le moins besoin… pour joindre le geste à la parole, cela devra être revu.

La montée de l’extrémisme musulman ne vient pas de nulle part

 Tout d’abord, nous affirmons haut et fort qu’il ne faut pas faire de confusion. Aucune religion ne prône le recours à une telle barbarie et ne peut servir à justifier de tels actes de terreur. Nous disons clairement ne pas confondre les auteurs de ces abominations avec les musulmans en général et nous appelons à bien faire cette distinction. Ces derniers n’ont pas à se justifier, à s’excuser pour les atrocités commises. Personne n’a à exiger quoi que ce soit d’eux à ce propos. Le faire reviendrait à sous-entendre qu’ils sont liés à ces évènements de par leur religion. Si certains ont envie d’exprimer « pas en mon nom » ou « pas au nom de ma religion », libre à eux mais qu’il soit clair qu’aucune injonction ne peut leur être fait pour cela.

Une fois ce point éclairci, l’émotion commençant à doucement retomber, il faut analyser l’origine de la situation. Car on ne nait pas extrémiste musulman, on le devient. D’ailleurs nombre de ces extrémistes les plus intransigeants sont des convertis ou des personnes qui ont basculé d’un rapport très lointain à la religion à une pratique rigoriste. Il existe des processus qui font parcourir ce chemin.

Deux points nous semblent essentiels et complémentaires pour amorcer les explications et donc rechercher des solutions pour le long terme.

Le premier est l’état social de notre pays. De nombreux jeunes se voient interdire toute projection dans l’avenir : chômage, relégation spatiale, discrimination, mépris de classe, difficulté de leurs parents pour joindre les deux bouts. Ces critères sont cumulatifs. La plupart se sont pris en pleine figure un échec scolaire difficilement évitable dans un système éducatif construit non pour élever le niveau de culture le plus haut possible pour tous, mais en faveur d’élèves dont les parents sont déjà familiers du système éducatif et pour trier au maximum les autres afin des les rendre « employables », surtout sans leur donner les moyens de comprendre et penser la société.

Au premier rang de ces jeunes, ceux « d’origine étrangère », terme au combien méprisant pour ces enfants français, dont les parents sont bien souvent français également. Mais quelque soit leurs efforts, quelque que soit leur passeport, trop souvent on les renvoie à leur couleur de peau. Les multiples contrôles de police, la peur de passants, les discriminations, les lois stigmatisantes qui se sont succédées, le manque de modèles positifs à qui s’identifier en dehors peut-être du sport, le leur rappelle tous les jours. La confusion entre « arabe » (entre guillemets, car pour de trop nombreuses personnes cela englobe tous ceux qui sont « basanés ») et musulman, vue comme une religion « importée » finit de les rejeter en dehors du corps social français.

Le second élément est la politique internationale.  A la fin des années 60, la décolonisation s’achevait. Mais déjà le néocolonialisme et l’impérialisme avaient pris la place. Depuis rien n’a changé dans la ligne directrice de la politique extérieure française ni dans celle des autres pays « occidentaux ». Nos actions, nos choix sont dictés uniquement par nos intérêts géostratégiques, ceux de nos multinationales et le pillage des ressources humaines ou naturelles. Nous mettons le nez dans les affaires intérieures de nombre de pays africains, en particulier ceux qui constituent notre « chasse gardée », autrement appelée la françafrique et nous n’hésitons pas à intervenir militairement pour sauver la place d’un dictateur ou au contraire pour changer le pouvoir en place qui ne nous sied plus.

Malgré les nombreux reportages, montrant les populations meurtries dans tel ou tel pays, destinés à faire accepter l’intervention guerrière au peuple de France, ces peuples ne sont jamais au cœur des préoccupations et des suites des opérations militaires. Et d’ailleurs leur sort se dégrade souvent après le passage des armées de l’OTAN. L’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, la Somalie, le Tchad etc… sont autant d’exemples pour le confirmer. Il n’existe aucun contre exemple. Faut-il rappeler que le nord Mali est toujours très instable ? A chaque fois c’est l’échec et à chaque fois des problèmes nouveaux apparaissent dans les pays voisins. Ces mêmes pays impérialistes n’hésitent d’ailleurs pas à se créer des ennemis, à les favoriser ou à exagérer leur importance pour mieux justifier leur intervention.

 Des jeunes se sentent exclus de la société française, rejetés dans une identité de musulman à laquelle, réflexe tout naturel de défense psychologique, ils finissent par s’identifier. Ils assimilent les guerres que nos armées mènent, dans des pays qu’ils jugent -à tort ou à raison- musulmans comme des guerres non pour un intérêt économique et géostratégique mais comme des guerres contre les musulmans ou contre la religion musulmane.

 Ajoutez à cela que certains pays « musulmans » ont également des intérêts dans ces guerres et interviennent militairement, par un appui logistique ou financier dans ces conflits tantôt du côté de l’OTAN, tantôt du côté de milices armées. Ils n’hésitent pas à appuyer les réseaux de ces milices pour faire du recrutement en Europe par des militants, en particulier dans les prisons ou par les réseaux sociaux.

 Complétez ce tableau par les discours de quelques auteurs français (que nous ne qualifierons pas d’intellectuels) dissertant sur la prétendue guerre des civilisations, le problème musulman etc… L’identification est faite, tous les ingrédients sont en place. Heureusement, la mauvaise mayonnaise ne prend pas à chaque fois et nous pouvons casser ces mécanismes.

La seule solution viable : changer de politique

Les politiques sécuritaires et guerrières ont fait la démonstration éclatante de leur échec. S’il n’est pas question de relâcher la vigilance policière demain, car il faut tout faire pour empêcher de nouveaux actes insensés, il va sans dire qu’il ne s’agit que d’un pis-aller de court terme qui ne s’attaque qu’aux conséquences et non aux causes et donc ne peut rien régler.

En préambule, nous tenons à réaffirmer que la laïcité est la liberté de croire en la religion de son choix ou de ne pas croire, que loin d’être un outil de lutte contre la religion musulmane c’est la garantie du vivre ensemble.

Après avoir démontré les principaux processus constitutifs de la situation, nous ne pouvons qu’affirmer que les réponses sécuritaires, déjà avancées par plusieurs responsables politiques dont le premier ministre, la tentation de la guerre, en Libye par exemple, ne peuvent en aucun cas être des réponses appropriées. Si de telles mesures devaient être avancées, leurs promoteurs trouveraient les communistes face à eux.

Pour nous, chaque missile, chaque confusion entre arabe et musulman, entre musulman et terroriste, chaque exclusion de notre société est le terreau d’où sortira un extrémiste.

L’idée de « contrôler », « d’organiser » le culte musulman ne nous semble pas non plus la bonne voie. D’abord parce que c’est à chaque religion de s’organiser comme elle l’entend et non à l’Etat de tenter de la modeler telle qu’il aimerait qu’elle soit. Parce que cela revient à valoriser toutes les religions qui, bien orientées, seraient là pour éviter les attentats … mais aussi pour diriger le peuple dans la bonne direction, lui éviter toute volonté de contestation. Enfin parce qu’une religion « officielle » ne peut qu’engendrer par réaction d’une petite frange de personnes, une religion parallèle, intolérante et porteuse de dangers.

Il est urgent au contraire de sortir de l’austérité, de faire en sorte que chacun-e ait accès à un emploi correctement rémunéré, à un logement, à la santé. Les guerres doivent cesser pour faire place à la coopération. Le politique doit reprendre le contrôle sur le capitalisme plutôt que d’accompagner les multinationales dans leurs prédations. Chacun doit pouvoir trouver sa place dans la société, sans crainte d’être regardé de travers à cause de sa couleur de peau, de son niveau de revenu ou de son adresse. Chacun doit recevoir une éducation émancipatrice, qui fasse réussir chaque enfant et l’amène à un haut niveau de culture commune.

 Pour conclure, nous tenons à rapporter ce propos de Charb pour mieux rappeler que ses dessins, loin de se limiter à des satires religieuses, croquaient le plus souvent la situation sociale : « Le communisme, c’est la solution à la crise ».  

Combattons, ne laissons aucune place à l’obscurantisme et au fascisme et agissons pour la seule solution : une société sociale, émancipatrice et égalitaire, implacable avec tout ce qui fait grandir la haine de l’autre.

 

Ancien adjoint au maire, en charge du logement. (2014-2020)