Article de Politique nationale - Publié le Dimanche 29 Novembre 2020

Libertés, peau de chagrin (2ème partie) Sécurité globale, disent-ils…

  • Manif Sécurité globale 29 nov 2020

    Le projet de loi « Sécurité globale » et en particulier son article 24 suscitent un énorme mouvement d’indignation. Ce samedi 29 novembre, plusieurs manifestations se sont déroulées sur l’ensemble du territoire, rassemblant des centaines de milliers de personnes. Sur la photo, présence des élus parisiens dont Laurence Patrice et Elie Joussellin, élus du 10ème arrondissement.

     

Mesure après mesure, se met en place en France tout un ensemble de dispositions qui portent gravement atteinte aux libertés.C’est une longue construction. Un coup d’œil dans le rétroviseur permet d’en mesurer la dangerosité à l’heure où nouvelle pierre à cet édifice, une proposition de loi déposée par des députés La REM, entend libérer la prise de photos de manifestations par les drones et à l’inverse interdire que les visages de policiers puissent apparaître sur des vidéos comme celles qui ont documentées les violences policières de ces derniers mois.  

Portée par Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID et Alice Thourot, avocate, la loi appelée « Sécurité globale » dont la discussion est en cours au Parlement, comprend principalement deux dispositions. D’une part, la légalisation des drones, d’autre part l’interdiction de laisser apparaître les visages ou la possibilité d’identification des policiers.

Légaliser les drones

Le 12 avril, alors que les Français étaient assignés chez eux, le Ministère de l’Intérieur a commandé 650 drones (dont une vingtaine de nano-drones) pour un prix d’environ quatre millions d’euros, laissant présager du très fort développement de cette technique pour surveiller la population française, bien au-delà de la crise de la Covid-19. L’armée a quant a elle passé commande pour 77 millions d’euros des mêmes engins. Il est évident que ces objets volants permettant une surveillance quasi invisible et très intrusive ont le vent en poupe.

Durant le confinement du printemps des drones ont survolé villes et parcs sans que l’on sache s’ils filmaient ou photographiaient, si les images recueillies étaient conservées ou recoupées, et quel usage en était fait ? Ces drones ont été déployés hors de toute règle, de tout contrôle de tout cadre légal. Cela a conduit en mai 2020 à une décision du Conseil d’État déclarant le caractère illégal du survol par ces engins.

Il était donc temps qu’un cadre juridique puisse permettre l’usage des drones et leur généralisation pour toutes sortes de missions. C’est ce que prévoit la loi « Sécurité globale » qui aurait le mérite d’imposer pour la première fois un débat public sur ces engins et leur utilisation, si l’article 24 concernant l’interdiction de photographier la police n’occupait tout le devant de la scène.

Garantir l’impunité des violences policières

Les violences policières documentées par les citoyens et dénoncées aussi bien par des ONG que par l’O.N.U. font l’objet d’un déni du pouvoir. Pourtant l’usage disproportionné de la force, l’utilisation de matériels de guerre (ex LBD), les contrôles racistes et abusifs, les techniques d’immobilisation létales existent bel et bien, les images en témoignent.

Sans les vidéos prises par des citoyens ou des journalistes et relayées par la presse et/ou les réseaux sociaux, ces actes n’auraient jamais existé aux yeux des citoyens.

Si certaines images de violences policières ont ainsi permis de donner une suite judiciaire à des abus sur des personnes : Abdoulaye Fofana à Montfermeil en 2008, aux manifestants gilets jaunes défigurés par des LBD ou tabassés, Cédric Chouviat, mort au cours de son interpellation, en janvier 2020, l’agression raciste contre Michel Zecler le 21 novembre 2020, l’affaire Alexandre Benalla et bien d’autres encore. A contrario, l’absence d’image lorsque Zineb Redouane à Marseille en 2018 a été atteinte par une grenade alors qu’elle fermait ses volets sur le passage d’une manif de gilets jaunes, n’a pas permis d’identifier un policier auteur de ce meurtre. Impunité totale !

Est-ce vers cette irresponsabilité des forces de l’ordre que l’on s’achemine ? Pourtant la police jouit déjà d’une impunité judiciaire et administrative qui libère parfois chez certains des instincts racistes et particulièrement violents.

Alors qu’à ce jour aucun agent mis en cause n’a eu de peine excédant le sursis, l’article 23 de la proposition de loi prévoit la suppression des crédits de réduction de peine (CRP) en cas de violences contre les forces de l'ordre, soit le même régime que celui appliqué aux personnes condamnées pour terrorisme.

Alors se pose la question du cadre dans lequel on fait évoluer le maintien de l’ordre. Dans d’autres pays européens, ces opérations se déroulent dans un cadre de protection et d’apaisement. En France, l’option retenue est celle de la confrontation. L’emploi de la force est alors inévitable, avec ses débordements, son usage excessif. L’enregistrement vidéo des violences policières devient alors un moyen de protection.

Quand la police écrit la loi

A travers ce texte législatif réclamé par certains syndicats de policiers, c’est la police qui écrit elle-même la loi. Ce que reconnaissait d’une certaine manière l’une de ses auteures qui, à toute tentative de limitation de la portée du texte, répondait : « cette disposition a été demandée par la police, il faut l’adopter telle quelle ».

Aussi peut-on en conclure que cette loi n’est pas écrite dans le sens de l’intérêt général, mais celui d’un corps de fonctionnaires. La police devient une institution politique autonome. Est ce conforme à un état de droit ?

Il faut prendre le temps de s’interroger sur le glissement progressif qu’opère la France en matière de libertés. En cinq ans, nous avons vécu 3 ans sous des régimes d’exception et certaines des mesures prévues par les lois d’urgence sont rentrées dans le droit commun comme celles donnant, dans certaines circonstances, la prééminence aux décisions administratives sur les décisions de justice. Par ailleurs, lors du débat de la loi de programmation de la recherche, un amendement a été introduit qui crée un « délit d’intrusion » visant les AG d’étudiants.

Plus ce gouvernement multiplie les cadeaux au capital financier, assèche les services publics, ignore les besoins des plus fragiles, plus il renforce un légitime mécontentement et plus il a besoin d’outils de répression et d’intimidation.

L’article 12 de la Constitution de 1789 prévoyait : « la garantie des Droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Pas évident que sur cette question notre démocratie ait progressé.