Article de Politique nationale - Publié le Vendredi 23 Juin 2023

Une démocratie défaillante !

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    Ces dernières années, le rôle de l’Elysées s’est considérablement renforcé. L’autoritarisme et la non-concertation entrainent des atteintes aux libertés individuelles et collectives de diverses nature et dans multiples domaines. C’est pourquoi certains observateurs étrangers qualifient notre démocratie de « défaillante ».

     

     

Par glissements successifs, des textes et dispositifs législatifs et réglementaires sont venus restreindre nos libertés. L’assemblage de ces textes conduit aujourd’hui notre pays dans une zone grise, ce qui a fait écrire à The Economist que la France est « une démocratie défaillante »

Les lois sur le renseignement, surveillance de masse

Après les attentats de 2015, des dispositions dérogatoires ont donné à la police des pouvoirs d’intervention extra judiciaires.  Puis ces mesures d’exception ont été introduites dans le droit commun à la faveur d’une première loi sur le renseignement, portée par Bernard Cazeneuve, première pierre d’une construction légalisant une surveillance de masse.

En 2018, seconde loi sur le renseignement qui, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, élargit les domaines concernés par les surveillances téléphoniques sans contrôle judiciaire et autorise le recours à des techniques de surveillance très invasives sur la base de motifs flous et de manière potentiellement illimitée.

Ce texte ouvre une brèche importante. Contrairement à la tradition pénale française qui repose sur la démonstration de la culpabilité, il pose le principe de la prévention.

Vous n’êtes pas surveillé pour ce que vous avez fait, mais pour ce qu’on suppose que vous pourriez faire. Cette surveillance s’exerçant dans la plus profonde opacité par le biais d’un algorithme dont le détail est classifié, donc tenu secret.

Puis en avril 2021, nouvelle loi sur le renseignement qui pérennise les mesures de police administrative restreignant les libertés au motif de la lutte anti-terroriste, laquelle n’étant pas définie se révèle être une notion très extensive et ce sans contrôle du juge. Bref des pouvoirs de police sans aucun contrôle.

Selon la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement, en 2021, 22958 personnes ont été visées par des écoutes, des géolocalisations ou d’autres systèmes de surveillance, mais la prévention du terrorisme ne représente que la moitié des saisines. La lutte contre le terrorisme a servi de cheval de Troie pour étendre la surveillance.

Mise en place de la reconnaissance faciale

Tout est en place pour une surveillance de masse. Il ne manquait qu’une pierre à cet édifice liberticide, mais c’est sans compter avec les efforts déployés par G. Darmanin et sa loi, votée le 11 avril dernier, malgré l’opposition des élus communistes, alors que tout le monde avait les yeux rivés sur la question des retraites.

A la faveur des J.O., la France va autoriser la reconnaissance faciale, créant un précédent en contradiction avec les recommandations européennes. Le parlement européen vient en effet d’adopter un texte sur l’usage de l’Intelligence artificielle (l’Artificial Intelligence Act). S’agissant de la reconnaissance faciale classée par les parlementaires européens dans la catégorie des usages à risque, des règles strictes en limitent la pratique, la reconnaissance faciale ne pouvant être utilisée qu’à posteriori et uniquement « pour la poursuite d’infractions graves et seulement après autorisation judiciaire ». Tout le contraire du mode prévu par la France.

En 2020 déjà, des associations et des syndicats publiaient une lettre ouverte dans laquelle ils dénonçaient : « La reconnaissance faciale est une technique exceptionnellement invasive et déshumanisante qui permet à plus ou moins long terme la surveillance permanente de l’espace public. Elle fait de nous une société de suspects. Elle attribue au visage non plus une valeur de personnalité mais une fonction de traceur constant, le réduisant à un objet technique. Elle permet un contrôle invisible. Elle impose une identification permanente et généralisée. Elle abolit l’anonymat … Ses seules promesses effectives sont de conférer à l’État un pouvoir de contrôle total sur la population dont il ne pourra qu’être tenté d’abuser contre ses opposants politiques et certaines populations »

Depuis 2020, ces dispositifs se déploient dans un cadre tout à fait nouveau puisque la loi dite de Sécurité Globale, sous prétexte de « protéger ceux qui nous protègent », renforce l’impunité des policiers et gendarmes mis en cause dans des cas de violences et par ailleurs étend l’appareil sécuritaire jusqu’à intégrer l’armement des vigiles privés et leur octroyer des missions de contrôle d’identité, le droit de dresser un PV, de procéder à des palpations de sécurité. Bref d’en faire des supplétifs de la police. Les compétences de la police municipale sont, elles aussi, élargies.

Qu’importe au gouvernement français si son obsession sécuritaire est dénoncée par les instances internationales (Nations Unies et Parlement Européen), décriée par la Défenseure des Droits et par la Commission Nationale Consultative des Droits Humains.

Du nouveau dans les fichiers

Mais la surveillance ne serait pas complète sans le fichage et, dans ce domaine aussi, du nouveau est à signaler. En décembre 2020, 3 décrets élargissent les possibilités de fichage des militants et de leur entourage.

Avant ces décrets, les traitements à caractère personnel de la police et de la gendarmerie concernaient 9 types d’information. Elles en visent à présent 50 : situation familiale, moyens de déplacement, éléments patrimoniaux, activité sur les réseaux sociaux …  Enfin et c’est le plus grave, elles traitent des « opinions politiques, des convictions religieuses, philosophiques ou encore de l’appartenance syndicale ». Du jamais vu depuis Pétain !

Le 11 février 2021, un autre décret autorisait le fisc et les douanes à exploiter au moyen de traitement informatisé et automatisé les contenus librement accessibles et manifestement rendus publics sur internet, dans le but de repérer d’éventuels fraudeurs. Pour cela encore une fois, les services ont recours à des algorithmes permettant de collecter « des écrits, des images, des photos, des sons, des signaux ou des vidéos » …

Enfin, cerise sur le gâteau, la possibilité est donnée aux différents services de renseignement d’accéder à ces données et de « partager toutes les informations utiles à l’accomplissement de leur mission ». Dont la surveillance des groupes militants qui est passée de 6 à 14% des surveillances autorisées de 2017 à 2019.

On comprend mieux la raison de toutes ces interpellations durant les manifs contre la réforme des retraites.  Interpellations massives et sans fondement puisque la plupart des interpellés ont été libérés sans poursuites, mais durant leur garde à vue ils ont été fichés.

Par ailleurs, certaines villes n’attendent même pas l’existence des lois légalisant la surveillance de masse pour l’organiser. C’est le cas avec ce qu’on appelle les Smart Cyties. Prétextant des expérimentations, des entreprises d’intelligence artificielle développent, avec la complicité des élus, des systèmes d’information venant de sources les plus diverses pour déduire et anticiper les comportements des citoyens, pour exercer un véritable contrôle social sur les personnes. 

Les associations dans le viseur

Dans le domaine des attaques tous azimut contre les libertés, les personnes physiques ne sont pas les seules visées. En août 2021, est promulguée la loi contre le séparatisme qui organise un contrôle renforcé sur les associations dont l’octroi de subventions est conditionné au respect d’un contrat dit d’engagement républicain.

Il oblige les associations à respecter « les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect de la dignité des personnes humaines, ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République ».

Alors qu’il fut beaucoup question après l’attentat contre Charlie de la liberté d’expression, ce principe serait récusé. Une forme de censure viendrait limiter le droit d’user de formes d’expression dérangeantes, offensantes ou même choquantes.

Quant à l’ordre public, il s’accommode parfois mal de la désobéissance civile. Et c’est au nom de cet ordre qu’un certain ministre profère des menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme.

Il s’agit donc d‘encadrer, contrôler et sanctionner l’action associative et la liberté d’expression.

Mise à mal du principe de la libre administration

Il faudrait aussi évoquer les dispositions concernant l’encadrement des Collectivités Territoriales à travers, par exemple, la suppression de certains impôts dont ces collectivités fixaient librement le niveau. Cela leur permettait non seulement de moduler la pression fiscale exercée sur tel ou tel type de contribuables, mais aussi de fixer le niveau de leurs ressources conformément aux services qu’elles entendaient mettre en œuvre.

Aujourd’hui l’État détient tous les leviers : détermination des bases d’imposition, encadrement de la progression des taux, fixation des dotations de compensation.  En 1990, la ville de Paris était maître à 90% de ses recettes fiscales, aujourd’hui elle n’en contrôle plus que 57%.

On s’éloigne donc du principe de libre administration des collectivités locales, pourtant inscrit dans la Constitution. En détenant en grande partie les cordons de la bourse, l’État infléchit aussi les politiques locales. Cela a conduit les trois principales associations d’élus à refuser de participer aux Assises des Finances Publiques organisées par le gouvernement le 19 juin dernier.

Du bon usage des violences policières

Les violences policières auxquelles on a assisté ces derniers temps et qui répètent celles auxquelles ont dû faire face les gilets jaunes sont donc à observer à travers ce prisme.

Dans un pays où les libertés sont amoindries, où la démocratie est bafouée, où les mesures sociales précarisent et appauvrissent la population, les violences policières sont un des moyens pour l’État de verrouiller le système répressif, d’entraver le droit de manifester en créant un sentiment de peur, dans le but de décourager la participation des citoyens. Les violences font partie de l’arsenal contre les libertés.

Les étrangers

Le droit des étrangers, c’est le laboratoire du pire. C’est souvent par-là que le gouvernement commence pour expérimenter une loi ou une disposition liberticide. Les procédures les plus tordues leur sont appliquées mettant en cause le droit à un traitement équitable comme celle qui consiste à leur délivrer une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) le vendredi soir avec 48 h pour faire appel ! Sans parler du principe même de la rétention qui consiste à priver de liberté des personnes qui n’ont commis aucun délit. Pour la seule année 2012, 3135 enfants ont été enfermés dans ces centres. La France a été condamnée à 9 reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour le traitement inhumain et dégradant infligé à des enfants, mais le gouvernement s’en moque. Il continue et la prochaine loi sur l’immigration ne devrait pas arranger les choses. 

Glissement autoritaire

Les récents épisodes au parlement avec l’utilisation du 49-3 à répétition, un temps très contraint pour l’examen de la réforme des retraites, les manœuvres pour empêcher l’examen de la loi LIOT, l’abaissement généralisé du rôle du parlement, l’affaiblissement des libertés publiques et privées, la mise sous tutelle des Collectivités territoriales, l’absence de négociation avec les syndicats, les violences policières, la limitation du droit d’expression, tout cela dresse un tableau très sombre de la démocratie française.

Comment en est-on arrivé là ?

Sans doute devant les difficultés grandissantes du quotidien, une certaine apathie s’est faite jour. Le découragement gagne et l’on ne se sent pas l’énergie de faire face. L’épisode du Covid et des privations de liberté qui l’ont accompagné ont aggravé les choses en créant des habitudes de renoncement. Avant cela, les attaques terroristes ont convaincu nombre de gens que notre sécurité méritait bien l’abandon de quelques libertés.

L’absence de confiance dans les partis politiques et la difficulté pour les syndicats d’apparaitre comme un rempart contre les mauvais coups, tout cela explique cette absence de réaction. Une sorte de filet géant s’est abattu sur notre société, c’est un peu comme une nasse géante et si nous ne réagissons pas, demain sera pire.

Tous les ingrédients sont réunis pour que l’extrême-droite, si elle parvient au pouvoir, puisse mettre en œuvre son projet autoritaire d’atteintes aux libertés.

Il est donc nécessaire d’élever notre niveau de vigilance et de réaction. Il est temps de ne plus laisser ce domaine en jachère. On a déjà beaucoup trop abandonné.